COVID 19 et délais en droit administratif

Plusieurs textes viennent réglementer les effets de la période d’urgence sanitaire sur les délais réglementaires et légaux.

Ces textes définissent une période dite « période juridiquement protégée », fixée à un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire (soit normalement le 24 juin 2020).

Les actes qui auraient dû être réalisés durant cette période sont réputés être valablement accomplis s’ils le sont dans un délai allant jusqu’à deux mois après la fin de la période juridiquement protégée.

Concrètement, si le délai légalement prévu prend fin entre le 12 mars et le 24 juin 2020, il recommence à courir à partir de cette dernière date pour sa durée initiale, dans la limite de deux mois (cf. ordonnance délais n° 2020-306 du 25 mars 2020).

Ce principe général est adapté pour le droit administratif, par l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif.

L’ordonnance n° 2020-306 institue une interruption de tous les délais de procédure qui étaient censés expirer entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la cessation de l’état d’urgence sanitaire. Ces délais ne recommenceront donc à courir pour, en principe, toute leur durée, qu’un mois après la fin de cet état d’urgence. Cependant, ce nouveau délai sera plafonné à deux mois. Il y également des dispositions relatives aux autorisations administratives.

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Point de départ du délai de recours en cas de double publicité d’un acte

Par un arrêt du 27 mars 2020 (req. n° 435277), le Conseil d’Etat vient de revenir sur une jurisprudence ancienne, limitant les possibilités pour le justiciable d’accéder au juge.

Il a en effet jugé que, lorsqu’un texte impose une double mesure de publicité d’un acte administratif, le délai contentieux court à compter de la première des deux mesures, et non de la seconde.

L’intérêt de la seconde mesure de publicité s’en trouve profondément altéré.

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Notion de différend entre une personne publique et le titulaire du marché

Les CCAG (ici le CCAG fournitures courantes et de service) font partir de la date de la naissance d’un différend entre un acheteur public et le titulaire du marché des délais stricts pour engager des réclamations.

Pour préserver la sécurité juridique des parties au contrat, le Conseil d’Etat juge qu’il ne peut y avoir apparition d’un différend au sens de ces dispositions qu’à la suite d’une prise de position écrite, explicite et non équivoque émanant de l’acheteur et faisant apparaître un désaccord.

Ainsi, le simple fait pour l’acheteur de ne pas avoir acquitté une facture ou d’avoir signifié oralement un désaccord ne fait en principe pas naître un différend, et ne fait donc pas courir les délais de contestation prévus aux CCAG (CE, 22 novembre 2019, Etablissement Paris La Défense, n° 417752).

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Délai raisonnable : Czabaj ne s’applique pas aux actions en responsabilité

Le délai raisonnable d’action, qui est en principe d’un an, mis en place par le Conseil d’Etat par sa jurisprudence Czabaj aux actions indemnitaires (CE, ass., 13 juill. 2016, n° 387763), ne s’applique pas à tous les contentieux.

Le Conseil d’Etat vient de préciser que, dans le contentieux de la responsabilité, l’action engagée par la victime vise non l’annulation de rejet de sa demande mais la condamnation de l’administration à lui verser une somme d’argent, le Conseil d’État juge qu’en la matière, la sécurité juridique a pour nom prescription (CE, 17 juin 2019, n° 413097).

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Cristallisation des moyens : pas d’effet persistant en appel

Le juge administratif a désormais la possibilité d’ordonner la cristallisation des moyens (article R. 611-7-1 du code de justice administrative), ce qui lui permet d’interdire aux parties de soulever des moyens nouveaux une fois que l’instruction lui paraît suffisamment avancée.

Par un avis du 21 février 2019 (n° 425568), le Conseil d’Etat a précisé qu’une telle mesure, prise en première instance, n’avait pas d’effet en appel. Les parties peuvent donc invoquer de nouveaux moyens en appel tant que le juge d’appel n’ordonne pas, à son tour, la cristallisation des moyens.

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Délai raisonnable pour contester un permis de construire

Par un arrêt du 9 novembre 2018 n° 409872, le Conseil d’état étend sa jurisprudence Czabaj aux recours contre les autorisations d’urbanisme (CE, Assemblée, 13 juill. 2016, n° 387763).
 
Ainsi, l’affichage incomplet d’un permis de construire (art. R. 600-2 du code de l’urbanisme) ne permet plus de le contester indéfiniment.
 
Le tiers peut le faire dans le délai raisonnable qui est normalement d’un an à compter de cet affichage. Par ailleurs, le Conseil précise que ce délai ne peut pas non plus être supérieur à celui de six mois après l’achèvement de la construction fixé par l’article R. 600-3 du code de l’urbanisme.
 

Le principe d’impartialité et les autorités administratives indépendantes

Par un arrêt du 18 juillet 2018, le Conseil d’Etat réaffirme que le principe d’impartialité s’applique au fonctionnement des autorités administratives indépendantes (AAI), et notamment aux décisions nommant leurs membres.

Mais la Haute juridiction estime, à propos de la Haute Autorité de santé (HAS), que ce principe n’interdit pas de nommer un membre qui aurait eu des intérêts entrant dans le champ des compétences de l’autorité, dès lors qu’elle peut se déporter.

Ce n’est que si cette personne se trouvait « dans une situation telle que l’application des règles de déport la conduirait à devoir s’abstenir de participer aux travaux de l’autorité administrative ou publique indépendante à une fréquence telle que le fonctionnement normal de cette autorité en serait entravé » que la nomination serait irrégulière.

Contentieux de l’urbanisme : régularisation des documents en cours d’instance

Par un arrêt du 22 décembre 2017 (req. n° 395963), le Conseil d’Etat apporte d’importantes précisions sur l’application de l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme, permettant au juge administratif de surseoir à statuer en vue de permettre la régularisation d’un vice affectant un document d’urbanisme.

D’une part, il juge que ces dispositions sont immédiatement applicables aux instances en cours, y compris lorsque les actes en cause ont été adoptés avant l’entrée en vigueur de l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme.

D’autre part, le Conseil d’Etat estime que le juge doit vérifier si les mesures prises par une commune sont propres à régulariser le vice affectant le document d’urbanisme.

Tel n’est pas le cas lorsque, comme en l’espèce, l’avis manquant qui a ensuite été produit s’est révélé être un avis négatif. L’avis ayant été négatif, il aurait fallu aussi, pour régulariser la procédure, susciter une nouvelle délibération du conseil municipal.

Jugement rendu en dernier ressort contre des autorisations de construire

L’article R. 811-1-1 du code de justice administrative supprime l’appel pour certains recours contre des autorisations de construire en zone tendue.

Le Conseil d’Etat a été amené à préciser le champs d’application de cet article, par deux décisions du 8 novembre 2017 (req. n° 410433 et 409654).

Dans le premier arrêt, il a jugé que l’exemption de l’appel s’appliquait au permis d’aménager un lotissement, même s’il a pour objet la réalisation d’une zone d’activités commerciales et artisanales.

Dans le second arrêt, il a estimé, en revanche, que cette exemption ne s’appliquait ne s’applique ni aux jugements statuant sur des recours formés contre des refus d’autorisation, ni aux jugements statuant sur des recours formés contre des décisions de sursis à statuer.

Sanctions prononcées par l’ACNUSA : application du principe non bis in idem

Le principe non bis in idem, selon lequel un même manquement ne peut donner lieu qu’à une seule sanction administrative, sauf si la loi en dispose autrement (Conseil d’Etat, 29 octobre 2009, Société Air France, req. n° 312825), s’applique aux sanctions infligées par l’Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (ACNUSA).

La décision du 30 décembre 2016 le rappelle mais, surtout, elle précise la portée du principe.

Celui-ci s’applique « tant lorsque l’autorité avait initialement infligé une sanction que lorsqu’elle avait décidé de ne pas en infliger une ».

Concrètement, l’ACNUSA avait décidé de ne pas infliger de sanctions à une compagnie aérienne car les procès-verbaux qui constataient des manquements à la réglementation de l’aéroport Nice-Côte d’Azur n’étaient pas suffisamment précis. De nouveaux procès-verbaux, se rapportant aux mêmes faits, ont été établis et, sur cette base, par d’autres décisions, l’ACNUSA a décidé, cette fois, de prononcer des sanctions.

Le Conseil d’Etat censure cette attitude. Il juge que l’autorité administrative ne pouvait revenir sur sa décision initiale de ne pas infliger de sanction sans enfreindre le principe non bis in idem.

CE, 30 décembre 2016, ACNUSA, req. n° 395681

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